• L’affaire Khalifa Guesmi, correspondant régional de Mosaïque refusant de dévoiler ses sources d’information relatives au démantèlement d’une cellule terroriste à Kairouan, appelle à un débat sérieux et approfondi sur les rapports médias-forces sécuritaires en temps de lutte antiterroriste
• Quelle stratégie de communication faudrait-il mettre en œuvre en vue de concilier droit à l’information et devoir de préservation de la sûreté de l’Etat ?
Le Conseil de la presse est affirmatif et tranchant: «Khalifa Guesmi est totalement en droit de protéger ses sources et de refuser de révéler l’identité de ces sources qui lui ont fourni l’information sur la découverte d’une cellule terroriste».
Khalifa Guesmi, correspondant régional de radio Mosaïque arrêté pour avoir refusé de donner le nom de sa source, est, ces derniers jours, l’objet d’une campagne menée par les journalistes, via leur syndicat, dénonçant le retour des anciennes pratiques portant atteinte à la liberté de la presse et cherchant à domestiquer les médias et à les mettre sous la coupe des autorités politiques.
De prime abord, quand on parcourt les articles parlant du retour de «l’épée de Damoclès» et «des journalistes pris en otage», sans avoir une idée précise sur ce qu’a publié le correspondant de Mosaïque et sur la nature de l’affaire qu’il a dévoilée, on ne peut que succomber à la tentation de le soutenir et de crier haut et fort qu’il ne peut être question, même si le pays est sous le régime de mesures exceptionnelles, que l’on retourne à la censure et à la sanction des journalistes qui refusent d’appliquer les ordres.
Sauf qu’il est bon d’éclairer l’opinion publique sur les dessous de l’affaire et de lui faire comprendre que le fameux décret 115/2011 permet effectivement aux journalistes de protéger leurs sources et de refuser de fournir l’identité de leurs informateurs quel que soit le corps de métier auquel ils appartiennent, et comme l’indique le communiqué du Conseil de la presse.
Toutefois, il est aussi utile d’observer que le Conseil se contente d’insister dans son communiqué sur la moitié de ce que prévoit l’article 11 du fameux décret 115.
En effet, il y est spécifié textuellement ce qui suit : «Il ne peut être procédé à la violation de ces sources directement ou indirectement que pour un motif impérieux de sûreté de l’Etat ou de défense nationale et sous le contrôle de l’autorité juridictionnelle».
Dans le même article, on lit également: «Le journaliste ne peut faire l’objet d’aucune pression de n’importe quelle autorité pour révéler ses sources d’information sauf autorisation du juge judiciaire compétent et sous réserve que ces information soient relatives à des infractions présentant un risque grave pour l’intégrité physique d’autrui».
Autrement dit, sur le plan juridique, la protection des sources d’information ne constitue pas un droit absolu. La révélation de ces sources est permise par le décret en question à condition que le juge en charge de l’affaire y prononce une autorisation légale.
L’information sécuritaire en débat
Et aux journalistes via le Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt) et aussi aux sécuritaires par le biais de leur syndicat de s’inviter à ce débat qui n’en finit pas sur l’information sécuritaire.
Les choses sont claires: le correspondant de Mosaïque ainsi que la direction de la radio ont-ils agi conformément à la stratégie nationale mise en œuvre depuis l’éclatement de la guerre antiterroriste et la mise au point des conditions sécuritaires à respecter lors du traitement des informations sur la découverte des cellules terroristes, plus particulièrement lorsque l’opération dévoilement de ces mêmes cellules est toujours en cours ?
Du côté des syndicats sécuritaires, on avance l’argumentation selon laquelle révéler la découverte d’une cellule terroriste et l’arrestation de ses éléments avant que l’opération ne prenne fin officiellement et que le ministère de l’Intérieur ne prenne la décision d’en informer l’opinion publique risquent de saboter l’ensemble de l’approche même de lutte antiterroriste dans la mesure où les terroristes appartenant à d’autres cellules en rapport avec ceux de la cellule dévoilée vont être alertées et prendront les mesures qu’il faut pour fuir les poursuites.
Quant aux journalistes, ils critiquent ouvertement la stratégie de communication utilisée par le ministère de l’Intérieur consistant à choisir le silence total sur les opérations de lutte antiterroriste menées par ses services, opérations dont personne n’est informé. Les médias appellent les services du ministère à adopter une politique de communication ouverte permettant d’informer le public à temps des découvertes réalisées par les unités sécuritaires.
Et si l’affaire Khalifa Guesmi, qui vient d’être remis en liberté, a eu un certain mérite, c’est celui d’avoir relancé le débat sur les rapports que les médias se doivent d’entretenir avec les informations relatives à la sûreté de l’Etat et à la défense nationale.
Ce que stipule l’article du décret 115
L’article 11 du décret 115 énonce que «sont protégées les sources du journaliste dans l’exercice de ses fonctions, ainsi que les sources de toute personne qui contribue à la confection de la matière journalistique. Il ne peut être procédé à la violation du secret de ces sources, directement ou indirectement, que pour un motif impérieux de sûreté de l’Etat ou de défense nationale et sous le contrôle de l’autorité juridictionnelle.
Sont considérés comme violation du secret des sources, toutes enquêtes, tous actes de recherche et d’investigation, toutes écoutes de correspondances ou de communications effectués par l’autorité publique à l’encontre du journaliste, pour découvrir ses sources ou à l’encontre de toute personne entretenant avec lui des relations particulières.
Le journaliste ne peut faire l’objet d’aucune pression, de n’importe quelle autorité et il ne peut être, également, exigé d’un quelconque journaliste ou d’une quelconque personne, participant à la confection de la matière journalistique, de révéler ses sources d’information, sauf autorisation du juge judiciaire compétent et sous réserve que ces informations soient relatives à des infractions présentant un risque grave pour l’intégrité physique d’autrui, que leur divulgation soit nécessaire pour prévenir la commission de telles infractions et qu’elles soient du type d’informations ne pouvant être obtenues par tout autre moyen».